
écrire
ECRIRE texte libre 2016
Que faut il attendre pour écrire? faut il choisir un bord, un clan, un style ? qui faut il être ? pourquoi écrire ? écrire est ce se faire comprendre ? Peut on écrire librement? autant de questions que je me pose librement et en dehors de tout travail imposé.
Ecrire est ce le risque de rentrer dans un ensemble toujours plus fermé de cercles concentriques théoriques, disciplinaires, hermétiques ? avec l'idée de s'y arrêter, de s'y satisfaire, de s'y piéger soi même ? d'y fixer ses idées, sa pensée, l'idée, et la pensée ? d'y oublier que l'on écrit pour les autres et que l'on doit se faire comprendre.
Y aurait-il une écriture sans "dangers"? et quels sont les dangers de l'écriture?
Dans un extrait du Phèdre de Platon à propos des dangers de l'écriture, Socrate nous met en garde :
"SOCRATE : - Car ce qu'il y a de redoutable dans l'écriture, c'est qu'elle ressemble vraiment à la peinture : les créations de celle-ci font figure d'êtres vivants, mais qu'on leur pose quelque question, pleines de dignité, elles gardent le silence. Ainsi des textes : on croirait qu'ils s'expriment comme des êtres pensants, mais questionne-t-on, dans l'intention de comprendre, l'un de leurs dires, ils n'indiquent qu'une chose, toujours la même. Une fois écrit, tout discours circule partout, allant indifféremment de gens compétents à d'autres dont il n'est nullement l'affaire, sans savoir à qui il doit s'adresser. Est-il négligé ou maltraité injustement ? il ne peut se passer du secours de son père, car il est incapable de se défendre ni de se secourir lui-même. "
Cette réplique de Socrate est un dernier plaidoyer pour la culture orale, seule garante de la transmission, à travers le dialogue et sa possible ouverture à l'explication. Socrate pose la question de l'interprétation de l'écrit qui représente effectivement un risque pour celui qui lit mais aussi pour celui qui a écrit et ne peut plus se défendre pour rétablir la vérité en cas de mauvaise interprétation de ces écrits. Ce qui est écrit est comme fixé et mort mais représente une trace livrée à la vie à travers l'objet du livre libre support livré à l'avis de tous.
"Ce qui n'est pas fixé n'est rien, ce qui est est fixé est mort" écrit Paul Valéry
Loin de la transmission à l'oral, de la culture orale, sans fixation des choses, rien du passé ne pourrait plus nous parvenir. L'écrit a été et est un moyen de diffusion du savoir, mais ce qui est en jeu c'est les abus à travers ses possibles erreurs d'interprétation et les jeux "d'entre soi". Il y a en effet dans le jeu de l'écriture le moyen d'ouvrir ou de fermer d'une manière consciente les enjeux de la compréhension permettant la naissance des "cercles concentriques" qui sont autant protecteurs que destructeurs pour les savoirs eux mêmes. C'est peut être de cette mort là dont nous met en garde Paul Valéry, adepte d'une pensée en mouvement, d'un langage dépourvu de jargon superflu, sans doute d'une philosophie qui renoue avec ses origines, celle portée par Socrate qui se garde de l'illusion de savoir et invite chacun à utiliser "ses propres armes" pour interroger le monde.
Au delà des doutes et des craintes de Socrate, y aurait -il, au XXI siècle, la possibilité d'une écriture vivante, libre, ouverte, en perpétuel travaux, faite de mouvements et de questionnements ? une écriture philosophique sans instinct de propriété, à laquelle on ne s'attache pas, à remettre au "compost" sans relâche, une "boucle écologique" substance en préparation, terreau vivant, d'où l'on puise et qui s'épuise pour d'autres expériences, d'autres formes, d'autres voyages, au risque du pas de côté, du regard extérieur.
Si l'idée est un voyage, le voyage est aussi celui qui brise les cercles concentriques. Il nous ré-initialise dans un possible regard, qui nous redonne la main à l'étonnement. La personne encerclée redevient celle, nouvelle, qui voit le cercle et décide ou non d'y entrer. Il y a, en voyage, ou dans une expérience à contre courant, (comme la mienne pour mon retour aux études) une marche à "contre temps", sans injonction, non "dictée", sans préjugés, libre et qui invite à une certaine écriture, celle que j'écris ici, dans cet espace éphémère, sur internet, et qui s'inscrit dans l'idée d'un simple carnet de voyage. Il y a là comme une possible idée d'enfance, originelle, celle de toutes les questions mais que l'on aurait jamais contrariée ...
La seule écriture fixe , permise, serait-elle soit certaine: mathématique, véritable , formules démontrées, ou bien "folle" : Poétique, exercice des sens, fiction, roman, tableaux. ?
ECRITURE POETIQUE
L' écrit poétique semble ne rien devoir à rien, ni au sens , ni au temps, ni au contexte , il invente sa demeure et demeure en sa demeure et cela doit être suffisant, définitivement.
l'écrit poétique est à dessein celui qui donne à voir au delà des mots, un monde rêvé. Socrate pourrait nous accorder le risque de s'y laisser prendre .
Ci dessous trois poésies : L'aventure de Paul Eluard une poésie d'Hannah Arendt et une poésie de Francis Ponge , l'orange.
L'Aventure
Prends garde c'est l'instant où se rompent les digues
C'est l'instant échappé aux processions du temps
Où l'on joue une aurore contre une naissance
Bats la campagne
Comme un éclair
Répands tes mains
Sur un visage sans raison
Connais ce qui n'est pas à ton image
Doute de toi
Connais la terre de ton cœur
Que germe le feu qui te brûle
Que fleurisse ton œil
Lumière.
Paul Eluard, Man Ray, Les Mains libres, nrf, Poésie/Gallimard, p. 32-33
et à la frontière de la poésie et de la philosophie
une poésie d'Hannah Arendt:
"J'aime la terre,
comme on aime en voyage
un endroit étranger
D'aucune autre manière
Ainsi la vie m'avance le long du fil qu'elle file
Composant un dessin demeuré inconnu
jusqu'à ce que soudainement
comme l'adieu au voyage
Le grand silence s'engouffre dans le cadre à tisser."

UN TRAVAIL D'ECRITURE/ LES ECRITS DE FRANCIS PONGE
L'écriture de Francis Ponge serait-elle à la frontière de l'écrit poétique et d'une méthodologie du questionnement propre à la démarche philosophique? Francis Ponge semble "re-écrire les objets" comme on découvre "un nouveau monde". Il semble utiliser un nouvel "alphabet" , celui de l'étonnement qui appartient au registre pur d'une certaine "enfance" refoulée . Ainsi se force t-il à la re-transcription du réel pour un essai nouveau, une enfance retrouvée, assumée, proclamée. Ainsi se force t-il à la "traduction", dont il nous expose parfois dans certains de ses écrits, les étapes successives.
Aussi proche et à la fois aussi détaché que possible de son objet . Cette vision pourrait se ranger dans le champ de l'analyse philosophique.
Francis Ponge fixe un instant l'objet, comme un papillon qu'on arrêterait en vol pour en extraire absolument tout, comme on arrêterait le temps, soi et le monde. Il en retient l'image comme on retient un moment sa respiration et en prélève une surface nécessaire et suffisante ! Il demeure en sa demeure et cela est suffisant.
A cet instant, Il relâche la réalité , le contexte et le volume du doute pour les rendre à la philosophie. Il a eu son miel ! cela suffit. Son écrit est la résultante d'une turbulence de passage qui se termine par un repos sur son objet. Il n'était question là que d'un travail de capture, qui se referme sur lui même , sur des mots choisis, enfin , en guise de fin. Ces mots agencés comme tel, et libres d'adhérer ou non au sens et à la vérité sont sa demeure et cela est suffisant.
Il faudrait se retenir d'expliquer ou d'analyser ces tableaux bouillonnants et clos. Il faudrait venir simplement en abeille pour y faire notre miel en silence. L'écrit fixé, ainsi assumé, aussitôt qu'il est au repos et détaché d'une exigence de vérité, la nature même de sa demeure "suffisamment bonne" celle qui pourrait répondre au "good enough" cher à Winnicott tout ceci entre en contradiction avec la démarche philosophique qui ne peut se satisfaire d'une image arrêtée. La démarche philosophique est déjà repartie dans son perpétuel examen, sa route, sa fatigue, insatisfaite ! insuffisante ! tout sauf un écrit quel qu'il soit finalement ! une marche avec Socrate sinon rien. M.jo.H